Dystopie d'anticipation - Littérature adolescente Genre : Citation : « Sa langue était en train de m'étouffer, ses mains baladeuses faisaient couler mes larmes. Je ne voulais pas ! Que ça s'arrête, pitié, que tout cela s'arrête... » Présentation d 'histoire : Condamnée à tort pour un meurtre qu'elle n'a pas commis, Clara se retrouve internée à l'hôpital Saint-Étienne, une prison psychiatrique dont on ne ressort pas. Dès son arrivée, on lui ôte tout ce qui fait sa personnalité : sa vie, ses affaires, son nom, sa liberté entière, à la place de laquelle on lui décerne un numéro. Mais #2432 n'est pas seule. Tout au fond d'elle, emprisonnée entre les murs de son esprit se dissimule un monstre, son autre moitié, Carla... |
♣ Critique par Maud G.
Troubles est le premier roman de Jennifer Provins et qu'elle a auto-édité après l'avoir écrit-publié sur son blog. Le livre est de très bonne facture et à tout l'air d'un grand. La couverture, signée Tiphaine Léard, est très belle et le choix des couleurs s'accorde avec l’atmosphère du livre, mais la couverture n'est pas vraiment représentative du roman et je pense sérieusement qu'il aurait fallu préférer l'illustration faite pour le poster où l'horloge est relayée au second plan derrière l'une des faces du personnage.
Dès les premiers mots, le style de l'auteur est cernée. Simple, agréable et accessible à un large public d'adolescent, l'écriture se dote d'une très bonne dynamique qui a le don d'être assez directe et de ne pas s'enliser dans des situations de pauses excessives. Le rythme est correct, mais se fait timide et parfois un peu trop en retard sur la narration. Cependant, l'ensemble fonctionne assez bien en gardant un certain équilibre entre les différentes composantes de l'écriture. Le vocabulaire est très varié et donne beaucoup de vie au texte, mais les quelques répétitions - surtout des tics d'écriture dans la plupart des cas - apportent une petite maladresse... C'est un peu dommage, bien qu'elle passe facilement si on n'y fait pas trop attention. Quant aux dialogues, j'avoue avec un avis assez mitigé vis-à-vis d'eux, car si certains sont vraiment pertinents, d'autres m'ont personnellement fait l'effet de meubler un peu le récit. La narration à la première personne est vraiment un excellent choix quant à l'orientation psychologique du livre et si les premières interventions de Carla - en italique - pourraient déstabiliser quelques lecteurs normalement habitués à cette typographie pour retranscrire les pensées à proprement parlé, l'ensemble est vraiment très bon et les enchaînements Carla-Clara sont très bien amenés. Bref, le lecteur est très vite embarqué par la lecture.
Le pacte de lecture qui nous invite à découvrir l'histoire fait parfaitement son œuvre, même s'il reprend un peu ce que nous avions découvert dans le résumé de quatrième de couverture. Une fois ces quelques lignes parcourues, le lecteur est donc lancé dans une histoire à l'ambiance particulièrement sombre et à la dimension psychologique mise au premier plan. En effet, durant son roman, l'auteur explore le sujet du trouble dissociatif de l'identité à travers son héroïne aux deux visages, tantôt Clara et tantôt Carla, et donc à deux personnalités très différentes. De manière globale, les différents personnages manquent de consistance, de profondeurs et ont été traités très en surface, compte tenu de l'environnement du livre et de son contexte psychiatrique. Personnellement, je ne me suis attaché à aucun d'eux, pas même l'héroïne que j'ai pourtant trouvé très touchante, mais le fait de déshumaniser tout ce petit monde par des numéros y est pour beaucoup. Ce choix pourrait être risqué vis-à-vis de lecteurs qui ont besoin de s'identifier, mais c'est pourtant l'un des meilleurs éléments du livre, contribuant à donner plus de poids à l'atmosphère du livre. L'intrigue n'est pas des plus originales, mon avis étant que ce n'était pas le but recherché, mais la manière dont l'auteur l’alimente et l'adapte à un public adolescent est très intéressante. Mais l'histoire souffre de très gros problèmes d'illogismes et de faiblesse ! Premièrement au niveau de l'univers futuriste où la criminalité est devenue un cas des plus rare et suggère donc des techniques scientifiques de pointe, et pourtant l'héroïne se fait interner sans plus d'enquête sur son cas, alors qu'elle est une jeune fille sans histoire et que des examens médicaux aurait révélé les sévices endurés, sans compter que la police elle-même la considère comme victime à la découverte du "meurtre". Si à notre époque "inférieure", il aurait été possible de prouver son innocence, alors imaginez dans le futur. Deuxièmement, dans cette société où le taux de criminalité est quasi nul, comment se fait-il que cet asile compte à lui seul une bonne centaine de fous, probablement parmi les plus dangereux criminels du vingt-troisième siècle ? Sans compter que ceux-ci déambulent librement comme s'ils étaient en colonie de vacances avec pas plus de six personnes pour les surveiller. Troisièmement, dans cet univers particulièrement développer, il est étrange que cet asile soit resté figé deux siècles en arrière, comme s'il n'y avait jamais eu de raison de le rénover pour y enfermer des déséquilibrés mentaux... Pourtant, la plupart de ces derniers sont là depuis longtemps. De la même manière, la société vie à l'ère du numérique, au point que le papier a totalement disparu et n'est plus qu'une pièce de musée ; alors comment se fait-il que l'établissement en possède en grande quantité et l'utilise pour ses formulaires, ou bien propose à ses patients des jeux de cartes ? Ce genre de détails totalement invraisemblables est bien trop présent dans le livre, si bien qu'on se demande comment l'auteur n'a pas pu les voir. Mais il faut l'avouer, des lecteurs peu exigeants passeront sans problème à côté de tout ça. Personnellement, je mets très fortement en doute l'utilité même de l'univers futuriste qui n'a pas le moindre petit intérêt valable pour le déroulement de l'histoire, sinon apporter des détails sans importances qui viennent meubler le texte. Le roman aurait pu se passer au vingtième siècle que ça n'y aurait absolument rien changé. Non, ce qui est prenant dans cette histoire, c'est vraiment tout l'aspect psychologique, avec ce combat que mène l'héroïne contre son double, sa quête d'identité et de liberté, tout ce cheminement intérieur menant vers une vérité bien différente... Très franchement, j'ai beaucoup apprécié toute cette dimension, mais l'auteur aurait dû développer, creuser ses personnages, pousser l'ambiance, jouer sur l’ambiguïté que fait germer la folie, pour que celle-ci gangrène le livre et contamine son lecteur.
Malgré ses très nombreuses erreurs de premier roman, Troubles n'en est pas moins un bon récit d'ambiance qui sait prendre le lecteur entre ses lignes pour ne le relâcher qu'au point final. Entre l'atmosphère prenante et son héroïne troublante, le livre aborde finalement un thème très parlant : la recherche de soi. Bref, un livre qui saura toucher un lectorat adolescent en lui offrant une bonne lecture. Jennifer Provins a, sans le moindre doute, un certain potentiel qui ne demande qu'à s'exprimer et que j'encourage.