Genre : Historique Citation : « La musique est simplement là pour parler de ce dont la parole ne peut parler. En ce sens, elle n'est pas tout à fait humaine. » Présentation de l’histoire : « Il poussa la porte qui donnait sur la balustrade et le jardin de derrière et il vit soudain l'ombre de sa femme morte qui se tenait à ses côtés. Ils marchèrent sur la pelouse.Il se prit de nouveau à pleurer doucement. Ils allèrent jusqu'à la barque. L'ombre de Madame de Sainte Colombe monta dans la barque blanche tandis qu'il en retenait le bord et la maintenait près de la rive. Elle avait retroussé sa robe pour poser le pied sur le plancher humide de la barque. Il se redressa. Les larmes glissaient sur ses joues. Il murmura : — Je ne sais comment dire : Douze ans ont passé mais les draps de notre lit ne sont pas encore froids.» Janséniste austère et intransigeant, Monsieur de Sainte Colombe cherche la perfection en tout. Il a la Cour en horreur et vit presque reclus dans la cabane qu’il a construit près de sa maison, vouant sa vie à la musique. Un jour, entre chez lui Marin Marais, un homme ayant perdu sa voix d’enfant et cherchant dans l’apprentissage de la viole de gambe un nouveau moyen d’expression. |
♦ Critique par Laura R.
La première fois que j’ai ouvert ce livre, ce fut sans réel enthousiasme. Pourtant j’ai très vite été saisie par cet ouvrage et ne l’ai plus fermé avant d’en avoir achevé la lecture.
Le style d’écriture est simple et sans ornement avec un vocabulaire maîtrisé. Cependant l’utilisation de phrases brèves aura de quoi rebuter les amateurs de longues et riches descriptions, mais l’on reconnait toutefois, au fil des pages, un style particulier propre à l’auteur qui donne au roman une identité. La dynamique du récit est travaillée, si bien que le choix des mots apporte une musicalité au texte qui s’accorde parfaitement au thème de ce livre. Pascal Quignard sait employer les termes justes pour donner à ses propos l’impact nécessaire. Il n’hésite pas non plus à basculer dans le langage cru mais toujours dans le but de nous livrer une histoire mise à nue, sans artifice. Et si certains de ces termes peuvent surprendre dans une première lecture, leur utilisation servant le texte ne donne pas l’impression de tomber inutilement dans quelques choses de vulgaire. On notera également la faible présence de synonyme qui permet de faire apparaître dans le récit des éléments récurant tels que la musique ou la mort, les mettant ainsi en exergue. On retrouve peu de descriptions des sentiments ou des décors, mais dans ce roman qui, en nous parlant de musique et de tranches de vies, laisse davantage place au ressenti subjectifs qu’à la représentation, cela se justifie et n’empêche pas d’apprécier l’histoire. L’utilisation de phrases courtes apporte au roman un rythme particulier qui vient s’accorder à l’ambiance de l’œuvre et le tout reste agréable à lire, sans que l’écriture soit saccadée. Cependant, même si l’enchainement des éléments tout au long de l’histoire se fait de manière fluide et relativement claire, j’ai regretté le découpage des chapitres qui n’est pas toujours justifié. Ceux-ci sont excessivement courts et trop nombreux, ce qui à mon sens hache le récit donnant une fausse impression de simplicité. Les dialogues quant à eux sont utiles et bien maîtrisés. Ils témoignent des sentiments des personnages et savent être marquant. Chaque mot est à sa place et a l’effet escompté. Le vocabulaire s’accorde à l’époque où se déroule cette histoire ainsi qu’à la psychologie des personnages ce qui reste cohérent.
Tous les Matins du Monde de Pascal Quignard est à l’origine une œuvre tricéphale se composant d’un film adapté par Alain Corneau, d’un livre écrit par Pascal Quignard, et d’une composition musicale de Jordi Savall. Pour autant, le roman peut-être lu de façon individuelle. Celui-ci nous parle de Monsieur de Sainte Colombe, un joueur de viole vivant avec ses deux filles Madeleine et Toinette. Cette histoire d’une grande poésie n’est pas centré sur une seule intrigue, mais nous livre une réflexion sur la musique, sa force, ainsi que sa capacité à exprimer ce que les mots ne peuvent dire, liée aux désirs et aux attentes des personnages. J’ai apprécié l’originalité de l’œuvre, car quoi de plus difficile que d’écrire sur la musique, de l’exprimer avec des mots muets ? Pourtant, c’est un pari que Pascal Quignard relève avec succès en nous amenant tout au long de son roman à une réflexion intéressante. Concernant le récit en lui-même, le tout se déroule de façon linéaire et chronologique sans réel temps fort mais ne se perd pas dans des digressions inutiles. De la première à la dernière ligne, l’on retrouve la musique et les personnages en suivant leurs évolutions. La scène finale cependant fait écho à d’autres évènements du récit, et il arrive que ceux-ci se répondent, ce qui donne plus de profondeur à l’histoire. Les personnages, si on les voit sous le prisme du réalisme, peuvent paraître assez simples dans la mesure où très peu de pages leur sont accordées et que le lecteur ne sait pas ce qu’ils pensent. Pour autant, il y a chez eux une forte dimension symbolique qui peut contrer cette impression de superficialité et qui donne à l’œuvre un autre degré de lecture. Dans cette histoire, l’on retrouve également des lieux clés, comme le lac, la maison de Sainte Colombe, la cabane où il compose et la Cour, qui vont apporter au récit de la densité de par ce qu’ils représentent. Tous les Matins du Monde regorge de références religieuses au travers de certains personnages comme Madeleine, mais aussi par la présence de la mort ou de la référence au baptême lorsque Monsieur de Sainte Colombe se baigne dans le lac. Il y a également des rappels historiques avec les personnages de Marin Marais et de Sainte Colombe qui ont réellement existé même si l’auteur a pris des libertés quant à certains passages de leur vie. On retrouve d’autres éléments réels, comme les œuvres de peintres tels que Baugin ou La Tour qui sont citées ainsi que les amis Jansénistes de Sainte Colombe. Enfin, le thème du roman, à savoir la musique, nous expose par l’opposition de Sainte Colombe et de Marin Marais, les différents points de vue sur ce qu’est ou ne doit pas être un véritable musicien.
Ce livre ne fera sans doute pas l’unanimité de par son style d’écriture et l’intrigue assez linéaire qui ne révèle aucun rebondissement particulier, pourtant, je le conseille fortement et il faut en retenir sa dimension symbolique. C’est un roman à plusieurs degrés de lecture dans lequel l’auteur nous parle de musique et de l’Homme avec justesse, le tout dans une ambiance unique empreinte de poésie.