Genre : Enquête historico-fantastique Lectorat : Adulte Citation : « Les ombres se sont effacées, la neiges qui tombe dissimule les traces. Il n'en reste rien, sinon quelques gouttes de rosée sur l'herbe, et la musique s'est fondue dans le vent du matin. - » Présentation de l’histoire : An de grâce 1599. Renaissance tardive. Au carrefour des influences slaves et germaniques, alors que les guerres de Religion persistent à déchirer l'Europe, la Moravie conserve ses traditions d'un autre âge et sa mémoire païenne, dans une paix fragile. Mais là où les femmes se rassemblent pour se transmettre le vieux savoir, au travers de gestes immuables, certains hommes ont beau jeu de parler de sorcellerie et de brandir un terrible ouvrage : le Malleus maleficarum. Noël approche. À Ostrov, on se marie. Dans les rues de Velky, les barbora distribuent des cadeaux et la troupe des loups-garous, bruyante et paillarde, fait charivari. Neige et tempête. Dans les bois, près du Rocher de l'Ourse, rôde un inquiétant loup gris à trois pattes. Et un moine étrange va et vient, demandant aux passants pétrifiés si son hurepiau lui sied bien. La fête peut-elle se poursuivre, quand des crimes se commettent dans l'ombre ? Et que faire, quand la Justice tombe soudain entre les mains d'un sinistre individu ? D'abord, répondre à la question que tous se posent : qui a tué le juge Michna ? |
♣ Critique de Maud G.
Derrière le titre énigmatique de Masky, se cache un roman historique sous un voile de fantastique. Et c'est à travers la superbe illustration de couverture de la talentueuse Krystal Camprubi, que le lecteur découvre pour la première fois l'univers, l'atmosphère et les influences de la tradition païenne qui berce ce livre. Je remercie sincèrement les éditions Argemmios pour leur partenariat avec Histoires de Romans.
À travers une plume riche et mature, l'auteur nous fait découvrir un style travaillé, à la fois empreint de sévérité et de douceur qui n'est pas sans rappeler certains aspects de l'écriture de Rabelais, d'ailleurs plusieurs fois cité dans le roman. Mais là où ce dernier avait tendance à utiliser un vocabulaire difficilement digeste, Viviane Etrivert manie ses mots avec velours pour propulser son lecteur à la toute fin du XVIe siècle. Aussi, le temps d'adaptation aux formulations très inspirées de l'époque est long et certains auront l'impression d'être un peu perdus au début, mais progressivement les enchainements de phrases se font familiers, comme si un voile venait d'être retiré de devant les yeux. On est purement face à un effet de style qui nous plonge malgré nous dans l'essence même du maska, ou plutôt des masky. La dynamique est bonne, mais montre tout de même une petite tendance à se figer dans certaines scènes, notamment suite à des changements de valeurs de temps parfois déstabilisants, entravant un rythme fragile qui ne parvient pas toujours à se caler sur la narration... Dommage. La mise en page est irréprochable, claire, agréable. Les dialogues, marqués par les règles de balisage à la française traditionnelles, sont efficaces, pertinents et exploités intelligemment, sauf à la page 225 où l'on retrouve avec horreur trois points en guise... d'incapacité à répondre ?! Ne répèterons-nous jamais assez que non, une ponctuation seule ne constitue pas une prise de parole et qu'une incise ou une phrase narrative permet de ne justement pas faire cette erreur ? Sincèrement, ce détail aura suffit à lui seul pour troubler une partie de ma lecture.
Pour ce qui touche à l'histoire, l'intrigue est soigneusement ficelée autour d'une enquête pour meurtre et permet à l'auteur de nous plonger progressivement dans une fresque de la Renaissance de Moravie du Sud pour nous faire découvrir la tradition païenne, à travers la célébration de Yule et ses douze nuits. Aussi, l'auteur berce son récit dans la magie du folklore tchèque et slave, ainsi que de croyances populaires européennes, avec une justesse à travers une richesse d'informations sur les rituels, la compagnie des bonnes dames menée par Dame Holl - également connue sous le nom de Perchta/Dame Percht -, la visite de Maisons et la tombée de la neige, la marche des esprits ou encore le déroulement des veillées sacrificielles du renouveau. Mais tout va bien bien plus loin, car c'est également l'Histoire qui laisse son empreinte derrière la Dame, citée dans les procès de sorcellerie des seizième et dix-septième siècles pour s'intéresser au lourd sujet de la chasse aux sorcières par l'inquisition et de ses pratiques cruelles à travers des scènes de témoignages, de tortures, de jugements et de manipulations troublantes de véracité qui ne manqueront pas de toucher le lecteur. L'ambiance est tantôt glaciale, tantôt douce et chaleureuse pour mieux emporter le lecteur dans une succession de décors aux descriptions développées pour toucher les sens : on voit, on entend, on sent, l'immersion dans une sensation de réel est alors presque possible. Les personnages folkloriques, historiques et imaginaires sont mis en scènes avec soin, se croisent et interagissent ensemble pour former un tout d'une grande crédibilité. En définitive, le titre du livre se révèle au grand jour comme une évidence et ne manquera pas de rappeler à quelques connaisseurs Masky, démoni, šaškové de Jitka Stankova et Ludvik Baran, ouvrage documentaire archéologique, anthropologique et ethnologique traitant des arts de l'illusion, du carnaval, du déguisement et des masques, de la magie, fantômes et sorcières...
Bref, Viviane Etrivert signe avec Masky, plus qu'un roman d'enquête historico-fantastique, un véritable voyage dans le temps et les traditions. Un livre qui m'a transportée au cœur de mes croyances que je recommande chaudement, que l'on soit initié ou non.